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Interview de Radoslav ŠOTH

Radoslav ŠOTH,
Assistant parlementaire du député Younous OMARJEE

« Le député OMARJEE a toujours dit et aussi essayé de convaincre ses partenaires européens que les régions ultrapériphériques ne sont pas vraiment à l’ultra périphérie de nos intérêts, de notre préoccupation. C’est la présence de l’Europe dans le monde. Ça nous ouvre à beaucoup d’espaces géographiques voisins. Et donc ce sont des éléments de l’Europe, puissance mondiale. »

 

Cette interview a été réalisée le lendemain de la conférence des RUP qui s’est tenue à Bruxelles le 16 novembre dernier, une semaine avant le déplacement, à Strasbourg, de la Première ministre Elisabeth Borne, le mardi 22 novembre à Strasbourg dans le cadre du 70ème anniversaire de l’Union européenne

Idrecom : « La conférence des RUP qui s’est tenue à Bruxelles le 16 novembre dernier a certainement permis d’évoquer la persistance des problèmes qui touchent le quotidien de nos populations ultramarines françaises. On pense à la question de vie chère, du transport aérien, des énergies, autant de sujets qui relèvent à la fois des compétences exclusives de l’UE, à savoir l’union douanière, les règles de la concurrence qui impactent les prix. Comment expliquer qu’en 2022 on ait autant d’inégalités en matière, sociale, économique, environnemental, dans les RUP ? Quand ce ne sont pas des sujets qui touchent aux compétences exclusives, ils relèvent aux compétences partagées de l’UE. Ceci questionne l’exercice qui est fait véritablement du principe de subsidiarité. Parce qu’aujourd’hui les populations des RUP françaises sont dans une situation d’extrême difficulté. On voit qu’au niveau national les politiques publiques ne sont pas suffisantes pour porter les réponses attendues. »

Idrecom : Comment le député OMARJEE voit-il les choses pour les années à venir ? Où met-il les priorités, s’il en voit ? De son point de vue, les actions menées sont-elles insuffisantes ou bien est-ce une question de politique générale de l’UE vis-à-vis des RUP ?

Radoslav ŠOTH : « C’est une chance qu’un député ultramarin préside cette commission importante qui traite de plus d’un tiers du budget européen, d’autant plus que la question des RUP est intégralement contenue dans les compétences de cette commission REGI.

Il n’y a pas que des actions qui visent à promouvoir l’outre-mer. Mais de manière générale, le Député OMARJEE va orienter sa présidence vers la défense de tous les territoires, de toutes les régions.

Vous avez raison, il y a ce principe de subsidiarité et aussi la prise en compte des particularités de chaque région, qui est importante. Maintenant pour les RUP, il y a donc la dérogation à l’article 349 des traités sur le fonctionnement de l’UE qui est assez pleinement appliquée et qui a été le sujet de nombreuses négociations. C’était tout juste au début du mandat, lors des négociations sur les programmes pluriannuels. La présidence de ces trilogues par M. OMARJEE était très importante et essentielle. Car il a toujours pu, quand c’était nécessaire, mettre en avant la particularité des RUP dans les différents programmes et dans les règlements financiers ».

Donc en ce qui concerne les compétences de la DG REGI et surtout s’agissant des programmes pluriannuels de la politique de cohésion, on fait cette évaluation assez positive que cette nouvelle programmation prend en compte, au mieux qu’on a pu, des particularités des régions ultrapériphériques. Ce n’est peut-être pas forcément le cas dans les autres politiques européennes. Au niveau de la pêche, de l’agriculture ou du commerce, peut-être, les RUP n’ont pas obtenu autant de protection que ce qui était souhaité. »

Idrecom : « En effet ce sont des domaines qui touchent aux besoins élémentaires des populations d’où la situation sociale explosive dans ces régions. Ce sujet a d’ailleurs été au centre de l’appel de Fort-de-France, en présence d’un représentant européen. Le sentiment des populations en général et dans ces territoires, spécifiquement, c’est que l’UE n’améliore pas leur quotidien. Comment l’expliquez-vous ? Le député a-t-il encore des marges de manœuvre ? Si oui, où les place-t-il ? »

Radoslav ŠOTH : « Oui. Concernant, par exemple, les enveloppes qui sont allouées à la Réunion ou à l’ensemble des outremers français en particulier, ce sont les enveloppes les plus élevées en comparaison des régions françaises et même des régions européennes.

Il y a cette clé de répartition des ressources, à laquelle s’ajoutent effectivement des enveloppes particulières et des dérogations pour les RUP. Donc en réalité, on estime que la politique de cohésion, financièrement parlant, bénéficie déjà de manière assez conséquente aux outre-mer. Mais effectivement, on doit toujours être vigilant pour qu’une politique telle que celle de la cohésion ne soit pas sapée, par exemple, par une politique commerciale ou de concurrence. Ce qu’on observe, par ailleurs.

Assez souvent ce n’est même pas vraiment un problème de manque d’argent. C’est justement le problème de concurrence de politiques européennes entre elles et de la place des RUP dans le marché européen. »

Idrecom : « Alors quels sont les leviers disponibles puisque ce n’est pas une question d’argent ? Comment fait-on ? »

Radoslav ŠOTH : « Il y a plusieurs choses. L’article 349 du TFUE prévoit l’existence de certaines dérogations. Elles sont appliquées. Par exemple, au niveau des règles concernant les aides d’État, les outre-mer sont les seuls à pouvoir en disposer pour leurs infrastructures aéroportuaires, du fait de leur isolement. Ce qui n’est pas le pas du reste de l’Europe.

Le régime de l’octroi de mer qui est aussi une exception aux règles européennes est maintenu depuis plusieurs années. On en a effectivement une vision un peu compliquée. C’est un élément qui participe à la vie chère, mais en même temps selon les régions et les municipalités ultramarines, c’est une de leurs recettes principales ».

Idrecom : « C’est un sujet épineux, quels sont les arbitrages possibles ? Comment faire pour desserrer l’étau sur les populations qui succombent vraiment sous le poids de la cherté de la vie ? Face à l’urgence, comment l’eurodéputé voit son action dans ce domaine ? »

Radoslav ŠOTH : « Oui. Vous avez mentionné l’énergie, ça fait partie d’un nouveau programme qui est en train d’être avalisé et finalisé ce mois et qui s’appelle « REPowerUE » C’est un projet de la Commission qui vise en fait à trouver des sommes d’argent dans le budget européen qui existe déjà et qui n’ont pas encore été utilisées afin de les mettre vers le redéploiement ou la transformation de l’énergie pour être moins dépendant de l’extérieur, en particulier du gaz russe.

Mais en ce qui concerne les outre-mer, c’est aussi permettre le développement d’énergies renouvelables qui pourraient limiter le prix de l’énergie. Dans ce nouveau projet, il y a donc aussi une nouvelle idée, qui est encore sur la table et en négociation. Elle consiste à dédier une sorte d’enveloppe au profit des petites entreprises et des particuliers pour leur facture d’énergie. On va suivre ces négociations pour voir si ce programme arrive bien à terme et si on peut effectivement prévoir que, dans les outre-mer, cette enveloppe soit substantielle pour qu’on puisse prendre en compte la cherté de la vie.

Ça c’est un exemple d’action pour résoudre le problème. Maintenant, l’Union Européenne a très peu de leviers directs qui peuvent venir contrebalancer la vie chère pour les citoyens dans les outre-mer. Mais en ce qui concerne les secteurs, il s’agit par exemple, de subsides de l’agriculture ultramarine. C’est un autre programme, le POSEI, qui n’existe que pour les outre-mer. Et donc c’est aussi un outil commun. Il n’est peut-être pas parfait mais il permet l’existence d’une agriculture ultramarine, dans un contexte de concurrence mondiale. »

Idrecom : « Revenons sur la question de la vie chère qui a atteint des sommets dans les RUP. Sachant que l’Union européenne est exclusivement compétente pour travailler sur la question des règles de la concurrence et sachant qu’on y trouve des positions dominantes, est-ce que l’Union Européenne n’a pas failli un peu ? Est-ce que tout a été fait pour permettre de réguler le marché intérieur dans ces petits territoires qui en ont plus besoin que nulle part ailleurs, compte tenu des problèmes liés à leur insularité et qui nécessitent peut-être que bien en amont soit pensé un autre mode de régulation ? Or, on constate que les situations de monopole perdurent. Comment l’explique-t-on au niveau européen ? »

Radoslav ŠOTH : « Oui, certainement, davantage d’actions peuvent être menées mais c’est aussi en parallèle avec l’action du gouvernement national, au niveau des compétences partagées. Quant à la concurrence, il y a effectivement la taille de ces régions, des problèmes de monopole, vous l’avez mentionné, mais aussi structurels.

Enfin, ce ne sont pas des régions comme les autres. Elles ont une forte dépendance vis-à-vis de la métropole et ce type de lien entre les régions d’outre-mer et la métropole, l’Union européenne ne saura pas le modifier. Donc c’est aussi une sorte de relations qui doit être définie au niveau national avec le gouvernement.  

L’Union européenne vient après, avec un levier et un fonds supplémentaire, outre, effectivement, des règles de concurrence qui s’appliquent. Mais c’est aussi le gouvernement français qui, de son côté, utilise par exemple l’article 349 du TFUE pour avoir des mesures dérogatoires. Parfois c’est pour maintenir des monopoles. Parfois c’est pour maintenir des mesures qui ne sont pas toujours favorables aux outre-mer. Par exemple, il y a quelques années, on a eu un sujet sur l’EDF qui est très implanté sur l’île de la Réunion avec des centrales électriques qui ne respectaient pas vraiment les normes européennes et la France voulait que les Outre-Mer n’aient pas à appliquer tous les objectifs d’énergies renouvelables. »

Idrecom : « Non …  »

Radoslav ŠOTH : « C’est pour garder un peu le sujet et le statut. On se rend compte que finalement, le développement d’énergie renouvelable aurait permis aussi de baisser les prix. »

Idrecom : « On touche un sujet hyper sensible. Parce que si on part de l’idée que le principe de subsidiarité impose l’action de l’Union européenne quand celle-ci est plus efficace qu’à un autre niveau, comment en arrive-t-on à ce résultat ? Serait-on dans une zone de non droit ? »

Radoslav ŠOTH : « Alors non, pas de non-droit. Il y a des compétences assez bien définies et on fait l’analyse avec M. le député qu’il y a en fait une faillite des devoirs de l’État, qui doit maintenir aussi sa cohésion interne et le principe de continuité territoriale. Donc, quelque part, ce sont des mots vides. En fait, l’Union européenne a une multitude d’outils, une succession d’éléments mais ce n’est pas à l’Union européenne de définir la structure de la France et des relations entre le gouvernement et ces régions.

Par exemple, l’octroi de mer a été créé par la France. C’est une solution souhaitée par la France. Les pays comme l’Espagne et le Portugal qui ont des outre-mer n’ont pas le même système d’octroi de mer. Ils ont d’autres arrangements, mais l’Union européenne n’a pas à dire si ce sont ces arrangements qu’il faut faire. Là peut-être que c’est aussi le rôle des parlementaires, des économistes. Peut-être qu’il faudrait effectivement penser à une méthode économique plus durable et meilleure, pour prendre en compte aussi la cherté de la vie. Nous, au bureau de M. le Député OMARJEE, nous n’avons pas de position quant au changement de l’octroi de mer. Nous savons que ce n’est pas idéal. »

Idrecom : « Justement, l’octroi de mer été maintenu temporairement ? » 

Radoslav ŠOTH : « oui. »

Idrecom : « Avez-vous déjà une idée de son sort dans les prochaines années ? »

Radoslav ŠOTH : « On a un peu cette impression que tant qu’il n’y aura pas une alternative proposée, adoptée, on va continuer à proroger cette mesure exceptionnelle, tant que ça arrangera les acteurs locaux… Donc c’est un travail à faire en commun, je pense : se pencher sur un nouveau système.

Idrecom : « Vous disiez à l’instant que d’autres mécanismes existent dans d’autres RUP, l’Union européenne ne peut-elle pas expérimenter dans le cadre des régimes dérogatoires, de la subsidiarité, prendre des arbitrages, ne serait-ce que sur la méthode de travail entre les parlementaires nationaux, RUP et européens ? Par exemple, sous l’impulsion de l’UE, créer une instance qui ferait que, à un moment donné, on se penche sur des problèmes de territoires car on se retrouve dans des zones de flottement ou d’interférence entre l’application des politiques nationales et européennes ? »

Radoslav ŠOTH : « Alors oui, effectivement, l’Union européenne est un espace où les gouvernements, des différents RUP peuvent se rencontrer et échanger sur les bonnes pratiques. Maintenant, ce n’est pas non plus le rôle de la Commission ou du Parlement. On va dire que les députés des RUP, ici au Parlement européen, s’entendent très bien entre eux et s’il y a des initiatives comme celle-ci qu’il est possible de soutenir, je pense que l’ensemble des députés ultramarins sera assis à une table pour en discuter. Je crois que c’est un espace où on peut, de manière constructive penser cette chose mais le principe de subsidiarité veut aussi que ce soit une proposition venant des outre-mer. Ce serait peut-être bien de voir avec les différents de Présidents de région à ce niveau-là, faire remonter cette proposition au niveau de la France puis vers le Parlement européen, que l’on en discute. Mais ce ne sera pas à nous de prendre l’initiative. »

Idrecom : « Cette question méritait donc d’être posée mais ne peut-on pas penser que ces problèmes perdurent faute de synergie plus étroite entre les parlementaires ? C’est un ressenti. »

Radoslav ŠOTH : « Non, les parlementaires s’entendent très bien. En fait, il existe au Parlement européen, un intergroupe de députés RUP qui a été très actif et qui a réussi pendant les précédentes mandatures à faire passer beaucoup d’amendements en faveur des RUP, sur beaucoup de dossiers. Dès que cette conférence des députés RUP se réunissait, on avait une force avec suffisamment de capacité de conviction, dans les partis de droite comme de gauche, ensemble, pour finalement avoir possiblement une majorité en plénière. Là, depuis le COVID et les réunions virtuelles, les députés des RUP ne se sont plus rencontrés aussi souvent qu’avant et ça a d’ailleurs causé quelques problèmes. On a perdu des amendements en plénière, parce qu’il nous a manqué du temps pour convaincre nos groupes respectifs du bien-fondé d’un amendement pour les RUP.

On a eu des votes sur les transports cargo où on voulait effectivement poursuivre des exceptions pour les RUP. Elles ne sont pas passées. Non, on n’a effectivement pas su convaincre tous les groupes politiques. Donc entre les députés RUP, il y a une très bonne entente, il y a parfois des difficultés à convaincre tous les groupes politiques et les rallier à une cause. »

Idrecom : « Quelle est vraiment la place des RUP au sein de ce vaste ensemble qu’est l’Union Européenne ? »

Radoslav ŠOTH : « On a, je crois, bien 9 députés européens issus des RUP au Parlement européen. Maintenant, dans le cadre du Portugal, il y a encore une circonscription outre-mer, si je ne me trompe pas. Mais sinon l’Espagne et la France ont des circonscriptions uniques où les places des ultramarins ne sont pas garanties. Ça dépend du bon vouloir de partis politiques de mettre des ultramarins suffisamment haut sur leur liste, lors des élections. Il se trouve que la plupart des grandes parties ont quand même placé des noms d’ultramarins sur leur liste et on a une bonne délégation, en tout cas une délégation française qui compte maintenant 5 députés ultramarins, je crois. »

Idrecom : « Revenons à l’action parlementaire de M. Le Député OMARJEE, qu’est-ce qu’il a concrètement obtenu pour les RUP ? Quel est le regard qu’il porte sur sa mandature jusqu’ici ? A-t-il pu faire avancer des dossiers ? Y-a-t-il des dossiers prioritaires ou urgents qui sont là, sur la table et qui le mobilisent pleinement ? Comment nous projette-t-à l’horizon 2 ou 3 ans ?

Radoslav ŠOTH : « Je pense que depuis qu’il est député européen, c’est-à-dire de 2012 jusqu’à aujourd’hui, on a vu une déjà une très grande progression de la place du Parlement européen dans les échanges entre les gouvernements des pays concernés et entre les Présidents des RUP. Par exemple, lors des premières conférences des présidents des RUP, le Parlement était à peine invité et on en est arrivé à ce que cet événement se tienne à Bruxelles.

Pareille dans les conclusions de la conférence des RUP, on voit finalement les éléments européens prendre de plus en plus de place et la Commission européenne est mieux informée qu’avant sur la réalité des RUP et sur les différents problèmes. Vu qu’on a des d’excellentes relations avec la commissaire FEREIRA, la commissaire pour la question régionale, son bureau et elle-même sont très au fait des problèmes que connaissent les RUP et donc ce n’est pas très compliqué de demander un peu leur aide quand il s’agit de certaines questions. 

Concrètement, il y a eu des centaines d’amendements qu’on a su faire passer sur la pêche, l’agriculture, pour prendre en compte les spécificités des RUP dans les règlements de fonds actuels et futurs. Enfin, c’était vraiment une très longue liste.

Le fait que le président OMARJEE a été présent dans les négociations a permis, qu’à chaque chapitre, les RUP apparaissaient et prenaient leur place. Donc c’est une évolution assez positive depuis ces dernières années. Cependant, il reste encore des sujets qui ne sont pas tranchés et qui sont en négociation. Je sais qu’en ce qui concerne la Réunion, en tout cas, il y a encore le sujet d’Air Austral, donc de l’aviation. La région est en train de voir avec le bureau de Margrethe Vestager, commissaire à la concurrence parce que, effectivement, il y des difficultés à ce niveau-là. On a encore des problèmes avec la pêche »

Idrecom : « L’agriculture. »

Radoslav ŠOTH : « Oui, oui, on a perdu quelques combats cette année sur ces questions spécifiquement et là on s’estime un peu oublié par la France. Parce que nous, au Parlement européen, on sait obtenir la majorité quand il le faut, mais il faut aussi que le co-législateur, le Conseil européen, nous soutienne dans ces cas-là. Et sur cette question-là, la France au Conseil n’a pas haussé la voix quand il s’agissait de défendre les RUP. Elle a laissé passer des compromis qui n’étaient pas très avantageux et donc tout le travail qu’on fait ici ne peut aboutir si derrière le gouvernement français ne soutient pas à 100%. »

Idrecom : « Comment l’expliquez-vous ? »

Radoslav ŠOTH : « Euh…, je ne sais pas si c’est une priorité. »

Idrecom : « Vous disiez qu’il faut que l’État vous soutienne en montant au créneau. Pourquoi ne le fait-il pas alors qu’on connaît le désarroi des populations ultramarines, des parlementaires RUP, face aux problèmes locaux et les tensions sociales qui s’en suivent ? Certes, vous avez entendu tout cela de la part des Présidents de régions, diriez-vous que c’est un problème de calendrier, de lourdeur administrative, ou voyez-vous d’autres raisons à cela ?

Radoslav ŠOTH : « Alors effectivement, on a un peu échangé avec le député, avec notre équipe ; ce n’est qu’un avis personnel, mais on estime que la France ne s’est pas encore entièrement débarrassée d’une perception néocolonialiste vis-à-vis de ces régions-là. Et que ce sont des régions à exploiter comme ça mais qui ne font pas intégralement partie de la France ou qui ne méritent pas d’être aussi développées que d’autres régions françaises.

On s’est forgé cette impression à force de voir se succéder différents gouvernements successifs en France, de différentes couleurs politiques, par ailleurs. On se demande s’il n’y aurait-il pas quelque chose de structurel dans cette situation ?

Il y a peut-être aussi une question de priorité politique. On pourrait se dire que si la France accepte des compromis pas forcément bien pour les outre-mer, c’est peut-être pour faire plaisir à d’autres intérêts, de grandes compagnies multinationales ou nationales françaises ou à leurs partenaires européens, parce qu’on n’a pas que des alliés au Conseil.

Il y a des pays qui n’ont pas d’outre-mer, pas de port ou d’accès à la mer. Certains ne comprennent pas l’obsession d’avoir toujours des régimes spécifiques pour les outre-mer. Il y a toujours un travail de conviction à faire auprès des Allemands en particulier, ceux qui paient le plus, pour leur faire comprendre que c’est utile. On a parfois l’impression que sont en jeu, d’autres intérêts que ceux des citoyens. »

Idrecom : « C’est assez paradoxal parce que la France reste encore un des plus gros contributeurs, le 2ème, avec 26.9 milliards d’euros  versés à l’UE en 2021 ? »

Radoslav ŠOTH : « Oui, et ça, c’est aussi tout le paradoxe de la situation des outre-mer français. La France, qui maintenant est la 2e plus grande économie européenne, possède les territoires les plus pauvres de l’Union européenne, avec les territoires Bulgares et Roumains, éventuellement

C’est un peu une honte pour la France, le fait que ces territoires ne disposent pas de moyens mais aussi du soutien administratif pour mettre les choses sur les rails en vue d’une accélération de leur développement. Sur des sujets qui bloquent, on le voit particulièrement sur la Guyane, on fait parfois de la gesticulation politique et derrière rien n’est fait. On se dit que c’est de la mauvaise foi, cela ne peut pas être autrement.

Dans certains cas, par exemple, Mayotte, on se dit que l’UE protège mieux ses régions que la France.

Ce cas est assez spécial. Lorsque Mayotte est devenue RUP, région française, département français, elle avait droit à de l’argent européen au même titre que n’importe quelle région européenne, avec la clé de répartition en fonction du PNB, de sa population, etc.

Sauf que la France a décidé de ne pas appliquer la clé qui était utilisée par toutes les autres régions, mais de demander une enveloppe forfaitaire qui était de moitié ou au moins 3 fois moins importante que ce que Mayotte aurait perçu normalement. Certes, il y a aussi de grands problèmes d’infrastructures dans cette RUP. Ils n’ont pas la capacité administrative d’utiliser une somme « colossale » de fonds. Le strict minimum n’est pas acquis, des services basiques ne sont pas présents. Mais là encore c’est le problème de la France. »

Idrecom : « C’est à se demander si c’est un territoire français ? »

Radoslav ŠOTH : « Oui, oui, oui et là y a vraiment faillite du devoir de l’État. L’Union européenne a une bourse, disons qu’elle est disposée à la partager avec ces territoires au titre du développement des régions les moins développées, ce qu’elle fait aussi avec l’Europe de l’Est. En outre, il y a une enveloppe supplémentaire pour les RUP avec tous nos programmes spécifiques.

Donc effectivement l’argent ne manque pas mais l’UE ne peut pas venir directement avec ses fonctionnaires dépenser cet argent, créer des projets. Il y a beaucoup d’autres niveaux d’intervention. Notamment, le niveau régional où il y a besoin de recevoir des porteurs de projets, d’aider les gens qui créent. C’est très lourd.

Effectivement, le retour qu’on a – pas seulement des RUP mais de toutes les régions européennes – c’est que la bureaucratie est très écrasante. On demande toujours la simplification mais on n’arrête pas non plus de créer de nouveaux fonds, de nouveaux programmes. »

Idrecom : « Ne complique-t-on pas également sur le terrain ?

Radoslav ŠOTH : « C’est qu’il y a déjà beaucoup de critères à remplir au niveau européen et la Région ainsi que la France en rajoutent ENCORE. »

Idrecom : « Oui, tout à fait. Et là quelle est la marge d’intervention de l’UE parce qu’en final, un dossier qui arrive chez vous, vous allez vous contenter de ne regarder que les critères européens, je suppose. Donc, il faudrait peut-être trouver le moyen d’agir bien en amont ou avant que les dossiers ne soient rejetés au niveau des autorités de gestion, par excès de bureaucratie ? »

Radoslav ŠOTH : Oui, là c’est problématique parce que la Commission européenne elle-même n’a pas une administration si grande pour faire le travail en amont. Même pendant ou après un projet on n’a pas la capacité d’aller sur place vérifier s’il est efficace.

Quelque part l’UE, basée sur la subsidiarité fait confiance aux Etats et aux Régions pour faire tout le nécessaire afin qu’il y ait de la transparence sur les fonds européens et que la charge de travail soit respectée, entre autres. Donc on fait confiance. On sait que parfois il y a des problèmes. Ce n’est pas vraiment le cas des Outre-mer. Mais dans beaucoup de régions européennes, il y a en plus le problème de la corruption, beaucoup, beaucoup, d’activités criminelles ou de détournement de fonds. Là aussi, l’Union européenne ne sait pas vraiment remplacer l’État dans le contrôle de ce qui est vraiment juste, pertinent et ce qui va dans les mauvaises poches.

Là où l’UE peut aider, il y a 2 instruments, 2 petits leviers qui peuvent être utilisés.

Le premier c’est l’assistance technique. On va dire qu’elle permet à des régions qui n’ont pas forcément de capacité administrative de mener à bien des projets. Donc c’est une enveloppe budgétaire supplémentaire favorisant le recrutement des professionnels, des experts pour gérer les dossiers. C’est une chose, mais ce n’est qu’une enveloppe supplémentaire.

Le deuxième, c’est ce qui a été fait avec la Grèce, l’envoi d’experts de l’Union européenne sur place pour assister le gouvernement dans la mise en œuvre des réformes. On pourrait dire aussi une assistance technique ou assistance administrative mais c’est fait sur demande des Etats, quand ils voient qu’ils ne sont pas bien formés ou qu’il y a des réformes à faire. Ils peuvent faire appel à certains experts de la Commission européenne. C’est beaucoup plus rare et ça demande aussi que la France se mobilise pour faire admettre cela. »

Idrecom : « Revenons à votre analyse sur la position de la France, comme le disent les élus, les populations, les organisations syndicales, les acteurs locaux, à longueur de journée, on voit très bien qu’il y a un problème. C’est bien de l’entendre et de constater enfin que les visions sont partagées, à ce niveau. Cela amène à se demander si les PTOM ne sont pas mieux traités que les RUP françaises ? Ne sont-ils pas plus dégagés de ces contraintes ? N’ont-ils pas plus de marges de manœuvre que les RUP pour assumer leur politique de développement avec l’Union européenne ? »

Radoslav ŠOTH : « C’est une bonne question. J’ai envie de dire que ce n’est pas évident parce que la réalité est toute différente, avec une autonomie beaucoup plus poussée. Mais je me demande aussi si, par exemple, les économies des PTOM sont aussi intégrées à l’économie européenne. Parce que beaucoup de problèmes s’y retrouvent : l’éloignement, l’approvisionnement, le transport, le prix de la vie. C’est peut-être une question qu’il faudrait qu’on creuse davantage.

Juste en termes financiers, budgétaires, les PTOM reçoivent beaucoup beaucoup moins d’argent qu’une région ultrapériphérique. La manne financière est quand même conséquente pour les RUP. Je sais que pour la région Réunion à elle seule, ils ont reçu 1.2 Milliard pour la nouvelle période de programmation, ce qui est absolument colossal. C’est plus que la plupart des régions européennes, même parmi les plus développées. »

Idrecom : « Et comment est affectée une telle somme ? Comment expliquer cette différence ?

Radoslav ŠOTH : « Dans le processus, ce sont des cycles de financement longs sur 7 ans. On a fini le cadre financier, il y a 2 ans. Puis, juste après les négociations sur le programme pluriannuel qui couvre la même période, et dès qu’on a le nouveau cadre, chaque pays est sollicité pour établir son programme opératoire (PO) qui doit refléter les priorités de l’Etat. Et, normalement, ils ont pour principe de coopérer avec les Régions pour bien faire remonter dans les PO tous les besoins de celles-ci.

D’ailleurs, nous, dans les négociations, nous avons rendu ce principe de partenariat essentiel pour que les États ne puissent pas se dérober de leur devoir de consulter les Régions. Ça c’est une chose.  Toujours est-il qu’il existe cette marge d’appréciation des États »

Idrecom : « Des Régions, et des autorités de gestion également ? »

Radoslav ŠOTH : « Je pense qu’effectivement les Régions ne décident pas toutes seules donc il y a beaucoup, beaucoup, beaucoup d’intérêts qui se mettent en œuvre. Le résultat, c’est qu’on a plutôt des fonds qui s’orientent vers le besoin mais la réalité est parfois différente.

Ce n’est pas non plus vraiment un processus qui va de bas en haut. C’est quand même, au niveau de la France, assez centralisé à Paris, qui fait sa petite consultation, consulte les Régions et puis au final, fait sa cuisine, fait son PO, l’envoie à Bruxelles, et c’est validé. »

Idrecom : « En effet, l’architecture relationnelle est très rigide. Est-ce que le député travaille sur ce sujet et se donne des priorités ou une stratégie avec le National pour essayer de faire quand même évoluer les choses dans les territoires ultramarins ? »

Radoslav ŠOTH : « Oui. A chaque rencontre avec un ministre ou le gouvernement, il amène ces points et les problématiques de la vie chère, transport, énergie aussi. 

Je pense que ce sont de points réguliers. On va dire que le gouvernement est au courant de toutes ces difficultés. D’ailleurs, le Ministre délégué Carenco a dit hier qu’il admet que le gouvernement a failli sur certains points, et notamment Mayotte où ils étaient en carence, pas en mesure de répondre aux besoins. Et d’ailleurs, on voit avec le mouvement en Guyane et ailleurs qu’ils ne sont pas très au fait. »

Idrecom : « Il y a en effet partout les mouvements sociaux, la tension exacerbée en Guadeloupe et un peu partout. Dans un tel contexte relationnel, d’échanges, de développement chaotique et cahoteux des RUP, la question de la coopération qui est aussi un levier de l’Union européenne ne peut-elle pas contrebalancer, ne serait-ce qu’un peu, les problèmes et l’absence de solution au niveau national ? 

Un exemple me vient à l’idée. En Guadeloupe, en Martinique, il y a de nombre important de diabétiques. A proximité, Cuba a développé un médicament Héperbrot 75, le seul sur le marché qui peut éviter les amputations. Et là aussi, le gouvernement reste fermé sur l’idée d’une coopération médicale.  Il semble bien que l’on ne mette pas les mêmes réalités sur cette terminologie ou alors on ne comprend pas que ça puisse être aussi dans l’intérêt de la France d’accompagner une meilleure coopération, alors que l’Union européenne, à travers Interreg investit ce levier. Là, il y a une dualité, une complication qu’on aimerait comprendre. Comment l’expliquez-vous ? »

Radoslav ŠOTH : « Je pense que vous avez raison, c’est un domaine absolument à développer. D’ailleurs dans les grandes lignes, le député OMARJEE a toujours dit et aussi essayé de convaincre ses partenaires européens que les régions ultrapériphériques ne sont pas vraiment à l’ultra périphérie de nos intérêts, de notre préoccupation. C’est la présence de l’Europe dans le monde. Ça nous ouvre à beaucoup d’espaces géographiques voisins. Et donc ce sont des éléments de l’Europe, puissance mondiale. Je pense que c’est quelque chose qu’ils commencent à comprendre aussi à la Commission européenne. Donc ils sont suffisamment bienveillants sur la question des RUP, ils comprennent que perdre ces régions, ce serait alors s’amputer de beaucoup de solutions, de richesses. Et également, on ne devrait pas continuer à concevoir les RUP comme juste des régions les plus pauvres, à la marge de chaque Etat concerné mais vraiment les mettre au centre de l’action globale de l’Europe, y compris dans les relations commerciales.

Ne pas faire des accords commerciaux avec le Mercosur ou Nouvelle-Zélande qui oublient en fait les outre-mer, le poids des importations dans ces régions. »

Idrecom : « Et pour le coup, là c’est directement l‘UE qui est en première ligne. »

Radoslav ŠOTH : Là, elle est entièrement responsable. Sauf que, effectivement, les Etats membres devraient veiller à placer des quotas ou des exceptions là où il faudrait qu’ils soient. On est assez critique sur les accords commerciaux. Donc ce sont des éléments que je pense que l’Union européenne va poursuivre. Maintenant, il faut aussi qu’on change la mentalité des gouvernements européens, en France, mais aussi en Espagne et au Portugal, les pays concernés, pour valoriser ces territoires. Et on voit, ne serait-ce qu’à l’aéroport de chacune de ces régions, les liens avec l’Europe. C’est presque une seule voie vers la capitale, vers Paris. Il y a très très peu de liens avec l’entourage immédiat. Il faut dépasser ces silos-là. Je sais comment certaines régions éloignées sont approvisionnées depuis Paris. Il serait possible, peut-être à moindre coût de s’approvisionner ailleurs. Ce sont des choses à développer quand même…» 

Idrecom : « Oui, nous sommes en première ligne puisqu’on est dans l’archipel des Antilles, avec toute une série d’îles, à moins d’une heure de bateau ou 2h30 d’avion. Vraiment, là il y a urgence. »

Radoslav ŠOTH : « Même les liens entre les îles françaises elles-mêmes. Même ça… »

Idrecom : « Entre les îles françaises elles-mêmes, bien sûr. Ça, c’est bien compliqué, en tout cas. Le député travaille-t-il en ce moment sur des dossiers prioritaires ? Je suppose que c’est la cherté de la vie ?

Radoslav ŠOTH : « En fait, et malheureusement c’était déjà le cas depuis le premier jour de sa mandature. C’est un sujet important. Comme je l’ai évoqué, on a fait le travail pour assurer suffisamment de fonds et d’enveloppes pour les outre-mer. Mais maintenant on garde encore à l’esprit qu’il y a beaucoup de travail à faire sur l’agriculture, la pêche ou le commerce. Ce sont des dossiers à suivre encore. 

Une des choses qui tient particulièrement à cœur au Député M.OMARJEE, c’est en fait de développer l’idée, qui pourrait aussi profiter aux outre-mer, qu’il y a une prise en compte des particularités des îles de manière générale dans l’UE et qu’elle stratégise un peu sa relation avec ses îles, par exemple les Baléares, la Corse, la Sardaigne, les îles grecques, les îles Croates, les îles Danoises, les Suédoises. »

Idrecom : « Qu’elle stratégise les particularismes probablement, dans la limite de ce qui peut être fait… ? »

Radoslav ŠOTH : « Oui, il y a effectivement dans les traités européens, un article spécifique pour les RUP. On ne va pas le supprimer et on veut se baser sur un autre article qui est présent dans le traité mais qui n’est pas vraiment exploité. Ce sont les particularités de régions à difficultés, les régions montagneuses, les régions peu peuplées, les régions insulaires, par exemple.

Donc en fait, il s’agit de créer une logique, une stratégie pour les îles européennes. Ce qui permettrait aussi de renforcer du coup l’action qu’on mène pour les outre-mer.  C’est parce que beaucoup de sujets sont identiques. Le fait que s’il n’y a pas de vol ou pas de bateau, on ne sait pas prendre la voiture pour se rendre ailleurs. Il y a des exclusifs, des impératifs auxquels il faut répondre. Et puis, on se dit aussi que ce ne sont pas que des handicaps, ce sont aussi des opportunités, comme on a vu dans les Canaries et l’île Elhiero qui est passée aux énergies renouvelables, à 100 %. C’est aussi un modèle dont on peut s’inspirer.

Idrecom : « Donc pour résumer, les RUP ont un bon eurodéputé en la personne de M.Younous OMARJEE qui est à leur chevet pour leur développement régional ? Il a certainement une vision assez positive de ce qu’il a déjà fait jusqu’ici, mais effectivement beaucoup reste à faire. La tâche est immense. »

Radoslav ŠOTH : « Oui c’est une chance. Effectivement, comme on l’avait évoqué, il y a aussi beaucoup de choses qui nous intéresseraient nous, au niveau du législateur européen, de faire remonter depuis les régions. Et je pense que c’est assez important qu’il y ait des think tank comme le vôtre pour récupérer des idées, mettre en comparaison ce qui est fait dans les autres RUP, espagnoles, portugaises ; effectivement, après faire des propositions, voire vers la France aussi.  Nous vous accompagnerons dans cette démarche-là. »

Idrecom : « C’est tout à fait le but, c’est tout à fait notre mission. Nous allons revenir vers vous. Nous insistons déjà pour avoir votre accompagnement afin que nous combinions nos efforts pour développer des opérations ou des synergies permettant de répondre aux besoins de nos territoires. »

Entretien réalisé par Narcise THERESE